29 février 1996

Quatre chercheurs découvrent une supernova


L'explosion de l'étoile a eu lieu il y a 250 millions d'années mais la lumière de cette déflagration nous parvient ce mois-ci.

Quatre astrophysiciens du Département de physique, Laurent Drissen, Carmelle Robert, Yvan Dutil et Jean-René Roy, viennent de découvrir une supernova. La découverte est survenue dans la soirée du 9 février, alors que Laurent Drissen et Yvan Dutil entreprenaient une nuit de travail à l'Observatoire astronomique Canada-France-Hawaii, situé au sommet du Mauna Kea sur l'île d'Hawaii.

Cette supernova, désormais désignée sous le nom de SN1996D , est située dans la galaxie NGC 1614, à 250 millions d'années-lumière de la Terre. Elle n'est pas visible à l'oeil nu mais il serait possible de l'apercevoir à l'aide d'un télescope amateur de qualité.

SN1996D est apparue soudainement à la suite de l'explosion d'une étoile dont la masse serait environ dix fois celle du Soleil. La flambée de lumière qui a suivi l'explosion diminue rapidement dans le temps et d'ici quelques années, l'étoile s'éteindra complètement. «Si on n'observe pas la supernova dans le mois qui suit l'explosion, il est bien possible qu'on ne remarque rien de spécial», signale Laurent Drissen. D'après l'intensité de la lumière enregistrée sur les images du 9 février, l'explosion avait sans doute eu lieu moins d'une semaine auparavant, estiment les chercheurs. «En fait, précise Jean-René Roy, l'explosion est survenue il y a 250 millions d'années mais la lumière de cette explosion a dû voyager pendant tout ce temps avant d'arriver à la Terre.»

Coup de chance
«Un peu d'intuition, un peu de déduction et beaucoup de chance», voilà qui résume, selon les quatre chercheurs, comment ils sont parvenus à cette découverte. C'est en quelque sorte par accident que les chercheurs ont pu observer l'explosion récente de cette étoile massive. Dans la soirée du 9 février, en attendant que les objets qu'il devait observer entrent dans le champ de vision du télescope Canada-France-Hawaii, Laurent Drissen communique avec Carmelle Robert à l'Université Laval et lui offre de faire quelques observations pour son compte. «Je lui ai aussitôt envoyé une liste d'objets dont la partie centrale de la galaxie NGC 1614, dit Carmelle Robert. C'est une galaxie qui en a englobé une autre et, comme dans toutes les galaxies cannibales, il s'y passe des choses intéressantes, notamment des flambées de formation d'étoiles.»

La signature de lumière que le tandem Drissen-Dutil obtient alors d'une partie de cette galaxie les laisse perplexes. De retour à Québec, les quatre chercheurs examinent avec soin les données et s'interdisent presque de croire à ce qu'ils voient. «Certains astrophysiciens sont des chasseurs de supernovae qui utilisent leur temps d'observation pour traquer systématiquement ces objets, dit Laurent Drissen. Ce n'est pas notre cas puisqu'aucun de nous n'est spécialiste des supernovae. C'est peut-être pour cela que nous avons mis quelques jours avant de réaliser ce que nous avions sous les yeux.»

Lorsque leurs doutes se transforment en quasi certitudes, ils demandent l'avis d'une autorité en supernovae, Alex Filippenko, de l'University of California à Berkeley, qui, moins de 15 minutes plus tard, confirme l'identité de l'objet. La comparaison de leur image à celle obtenue le 11 décembre 1994 à l'aide du télescope Hubble par un astrophysicien de UCLA, Matthew Malkan, vient confirmer l'hypothèse de la supernova. Le 16 février, les chercheurs expédient un message à l'Union astronomique internationale pour signifier leur découverte.

Rare? Oui et non
La découverte d'une supernova n'est pas un phénomène rarissime; environ 600 de ces étoiles ont déjà été cataloguées, dont trois autres cette année. Ce qui n'enlève rien à la joie et à la frénésie qui ont envahi le Laboratoire d'astrophysique depuis que les chercheurs ont eu la confirmation d'avoir été les premiers à observer cette supernova. «C'est le genre de choses qui n'arrive en général qu'une fois dans la vie d'un astrophysicien», dit Jean-René Roy.

Fait beaucoup plus rare cependant, la supernova 1996D est la troisième seulement pour laquelle il sera possible d'identifier l'étoile pro génitrice, c'est-à-dire l'étoile qui a explosé. «Il s'agit d'une retombée du télescope Hubble, constate Jean-René Roy. En vertu des règlements de l'Institut du télescope spatial Hubble, les données obtenues par un chercheur lui appartiennent en exclusivité pendant un an, ensuite elles deviennent du domaine public et donc accessibles à tous ceux qui en ont besoin. Dans notre cas, on a pu récupérer une image antérieure de la galaxie NGC 1614 et la comparer à celle du 9 février.»

La découverte de cette supernova aura quelques applications en astrophysique, dit Jean-René Roy. En effet, en plus de permettre de mieux comprendre l'évolution des étoiles massives, cette supernova, très lointaine et très lumineuse, aidera les astrophysiciens à calibrer la distance qui sépare les galaxies.
JEAN HAMANN

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